Lâcher prise.

Oublier tout le mal qu'on m'a fait.

Lâcher prise.

Oublier tout le mal que j'ai fait.

Lâcher prise.

Lâcher prise.

J'aimerais tant y arriver.

Cesser de me cramponner à ce que j'ai, pour pouvoir enfin m'envoler.

Je voudrai ne plus avoir mal à chaque fois que je pense à ces gens. Ca tire dans ma poitrine, à chaque fois que je pense à eux. A ma famille. A ma mère. A ma sœur. A mon frère. Même à mon père et ma grand-mère. Mais aussi à mes anciennes connaissances, mon ex où mes chers « amis ». Tous ces gens qui m'ont fait du mal, soit exprès, soit par leur égoïsme.

Tous ces gens à qui j'en ai voulu, et à qui j'ai fait à mon tour du mal. Je me suis avilie.

J'en suis venue à éprouver un état permanent de haine, et surtout envers moi-même. A conduire comme une folle en sachant que j'aurai pu me tuer.

A manger éperdument en souhaitant enlaidir ce corps que je détestais. Et parce que la nourriture me réconfortait.

J'ai vu ma mère et ma sœur, telles des charognards, s'évertuer à dire du mal de mon frère, sans même comprendre que c'est à cause de ce genre de comportement qu'il est devenu comme ça. On ne combat pas le feu par le feu.

Je suis pourtant la première à m'énerver d'habitude, mais j'avais l'impression d'être la seule voix calme dans leur tempête, à tenter de les calmer, de les raisonner, de les ramener à la réalité sans pour autant balancer à l'une ou à l'autre les vérités qui fâchent.

On a tous souffert dans cette famille. On a tous fait de notre mieux avec les cartes qu'on avait. Il n'y a pas à en vouloir aux uns ou aux autres. On a tous fait de notre mieux. On est ce qu'on est, c'est tout.

Avant, j'aurais foncé dans le tas, et je me serai violemment disputée avec elles en prenant la défense de mon frère, tout en sachant que ce qu'elles disent n'est pas totalement faux, mais c'est la façon dont elles le disent qui donne un tout autre sens à ces propos. J'ai toujours cette étiquette pour elles, pour eux. Et pourtant, j'ai bien changé. Je n'ai pas été en colère. Pas même un peu. Je me suis juste senti horrifiée, et tellement triste. Puis la tristesse a reflué, sans disparaître. Accepter que c'est comme ça, que oui, ça fait mal, que c'est comme ça. Que ma famille est tordue. C'est juste comme ça, on ne peut pas tous tirer le bon numéro, et ma foi, il paraît qu'il y a pire.

C'est la façon de le dire, donc. Parce que ça témoigne d'un manque total de recul, un manque d'objectivité absolu. Le déchaînement des passions autours de mon frère. Parce que lui-même est absolu.

Je suis toujours aussi sensible. Ca ça n'a pas changé. Une fois le conflit passé, l'air de rien, je suis encore allée pleurer en haut. J'ai honte de craquer toujours ainsi, mais je suis comme ça, j'ai besoin de laisser mes yeux pleuvoir pour éclaircir le ciel de mes idées.

Mais je n'ai pas été en colère, je crois, parce que je vais enfin partir. Sortir de ce cocon de froideur, de ce nid de froid-piquants, pour affronter le monde réel, plus effrayant encore qu'une famille dans laquelle j'ai appris à survivre depuis le temps. Je réalise que finalement, c'est le monde tout entier qui est à l'image de cette famille et de ces anciens amis. Différent de moi. C'est évident pour beaucoup, mais pour moi, je découvre ça ébahie. Le monde est différent de moi. Ce n'est pas la continuité de mes pensées, même en opposition. Il ne peut pas deviner ce que je pense comme ma meilleure amie en est parfois capable. Non, il est complètement différent. Out of my box.

 

Je vais déménager, et pour pouvoir aller de l'avant, je leur ai par-donné. Je n'ai pas oublié, et si, ça fait toujours mal. Tout ce qu'on m'a fait, malheureusement, je m'en souviendrai toute ma vie, avec ma mémoire qui a tendance à oublier les tables de multiplication mais à se souvenir de chaque parole ou acte blessant, même manqué, à mon adresse ; mais je ne suis plus en colère. Juste triste. Je suppose que c'est une étape du deuil de l'idéal familial auquel je n'arrive pas à renoncer. Je ne sais pas quoi faire. Est-ce que ça vaut la peine de s'accrocher en sachant qu'au mieux, avec tous mes efforts et toute la peine que je peux me donner, ça ne sera que légèrement mieux que ça, et jamais à la hauteur de mes espoirs ? Combien d'espoirs j'ai sacrifiés dans ma vie ? Des plus impossibles aux plus basiques ?

Mais si je ne m'accroche pas, je devrai vivre avec le pire des renoncements : ma conscience. Parce que je suis « quelqu'un de bien », avec « un grand coeur », et qu'abandonner ma famille, c'est pire que d'être abandonnée par elle.

Lâcher prise...

J'ai peur, tout le temps. Avant, cette sensibilité faisait de mon monde un espèce d'au-delà merveilleux, fantasmé, où tout pouvait arriver. Maintenant, c'est juste un décalage permanent. Là où les gens ne sont même pas secoués, je pleurs, je pleurs comme une fontaine.

Je ne suis pas faible pour autant, je suis même sacrément forte pour avoir réussi à me construire malgré tout. Et pas n'importe comment. Je pense être globalement comme je voudrais être, au moins moralement. C'est à dire que je suis une fille très, trop honnête avec elle-même.

J'ai l'air de me vanter, mais c'est vrai. Ce n'est d'ailleurs pas toujours facile à vivre.

Bref. Mais du coup, je me pose toujours tellement de questions. C'est le prix à payer pour être honnête avec soit-même je suppose. Ca ne veut bien sûr pas dire que ma conduite est exemplaire, loin s'en faut, je suis très impulsive et même parfois irréfléchie. Mais je reconnais toujours mes moments de faiblesse, même si c'est parfois un temps trop tard pour pouvoir les corriger.

Au moins, j'ai cette honnêteté envers moi-même et je m'efforce de toujours corriger le tirs. J'essaie toujours d'être meilleure. Ca ne signifie pas que j'y arrive.

 

Ma vie n'est pas plus pourrie qu'une autre. C'est juste que je prends tout à cœur. Je veux dire, droit, dans le cœur, comme des centaines d'aiguilles, une espèce de poupée vaudou battante.

Ecrire, c'est comme drainer tout, drainer le pu. J'aime bien faire des aides op sur des choses un peu sales. Voir le chirurgien crever un kyste dégueulasse, le pu jaunâtre s'écouler, puis le faire disparaître avec l'aspiration, passer un coup de désinfectant, puis de l'eau stérile, et puis, hop ! On referme.

Le chirurgien, c'est mon père. Est-ce qu'il aimerait faire pareil avec sa femme ? Sa famille ? J'ai l'impression qu'il est le capitaine, lucide, à bord d'un bateau de fous. Il est toujours fort, vaillant. Mais il ne peut juste pas exprimer ses faiblesses. J'ai découvert qu'il avait mal à la hanche quand il marchait, et j'en ai pris un coup. Il ne l'a dit à personne. Je ne lui en ai pas reparlé, consciente qu'il avait pu, pour une fois, s'appuyer, mais qu'il ne tolérerait pas que je lui dise de moins marcher, lui qui aime tant aller se promener.

C'est sa seule échappatoire. Il est l'âme damnée de la maison. Mais l'image du capitaine lui va mieux. Parce qu'il refuse de quitter le navire, et le connaissant, il ne partira qu'une fois qu'il aura coulé. Comprendre, qu'il ne sera libéré qu'une fois ma mère enterrée.

Comme sa mère.

 

Je déteste ces romans d'analyse des caractères à la con, parce que je passe mon temps à faire ce genre de chose. Non pas que j'aie la prétention d'être Zola, loin de là, mais je passe mon temps à essayer de comprendre comment marche chacun. J'ai voulu être psychiatre, à un moment. Mais pourquoi vouloir faire de son métier ce qu'on aimerait pouvoir cesser de faire ?

 

Vague.

Je divague.

 

Complètement. La pluie se tarit, les aiguilles se sont calmées, même si j'ai encore la gorge un peu serrée. Je draine. Je draine.

Je vais peut-être même aller pisser, à force de drainer.

 

J'ai envie de retourner dans ce monde de rêves que j'avais autrefois. Mon abris de livres. Mon bouclier de dessins. Mes délires stupides.

Continuer à rêver. Malgré les abandons.

Mais on ne peut pas revenir en arrière. Je dois construire mon futur, avec ce que j'ai à présent, et ne pas tenter de singer le passé, qui n'avait rien d'attirant par ailleurs, si ce n'est les espoirs que j'avais alors et que j'ai depuis abandonnés.

Mais pas complètement. Je continus d'espérer que demain sera meilleur. Mais je ne l'espère plus de la part des autres. J'espère le bâtir moi-même. Donner aux autres ce que j'aurais aimé qu'on me donne. Etre la personne que j'aimerais rencontrer. Je veux dire, de manière générale. Etre telle que j'aimerais que les gens soient les uns envers les autres.

Je souhaite de tout mon cœur réussir à rendre le monde un peu meilleur. Je ne suis pas une putain de hippie, je suis plutôt agressive en général. Et pourtant, j'espère rendre plus de gens heureux que malheureux. Je veux donner ce que j'aimerais recevoir, mais ce n'est pas un acte généreux. C'est plutôt pour me rassurer. Parce que, si l'autre est un autre moi-même, alors lui donner ce que j'aimerais recevoir, c'est garder l'espoir qu'on me le donne à moi aussi.

Ca n'a rien d'un acte généreux. C'est même l'une des pensées les plus égocentriques qui soient. Puisque c'est supposer que les autres ont les mêmes attentes que moi, qu'ils sont semblables à moi. Alors que je découvre que non, ils sont très différents de moi. Pourtant je vais quand même m'y efforcer, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen d'éprouver de l'empathie.

Et que ce que moi, je veux recevoir, plus que tout, c'est de l'empathie. Une empathie totale. Parce que je me sens tellement seule dans ma tête.

J'ai peur d'être seule.

Et pourtant je ne peux pas supporter la compagnie des autres. Je suis perdue dans mes contradictions, à toujours trop penser.
On en revient toujours là. Mon problème, le vrai, c'est que je pense trop. Trop aux autres mais surtout trop à moi-même.

J'aimerais mieux penser à quelque chose de complètement différent de l'humain. C'est ça le fond du problème : l'humain. Moi même étant le premier humain que je connaisse, les autres sont forcément à mon image, selon moi. Mais non. Ou peut-être que si. Je me retrouve dans le même dilemme que petit, quand j'essayais de savoir si l'image dans le miroir était juste une image de moi-même ou un autre moi-même dans une dimension parallèle.

Il aurait fallu que je fasse de la physique, des maths ou à l'extrême rigueur de la biologie, mais pas de la médecine. Je suis en conflit avec tout ce qui touche à l'humain parce que je suis en conflit avec moi-même.

Enfin, peut-être. L'humain est au cœur de tous mes problèmes.

Et par là je veux dire, je suis au cœur de tous mes problèmes. Moi. Je.

Moi, moi, moi, moi. Mais comment sortir de moi-même ? On ne peut pas s'abandonner soit-même. Même en venant aux pires extrémités, on ne peut pas s'abandonner. On peut juste abandonner sa vie. Et je n'en ai pas envie. Parce que je veux continuer à croire qu'au cœur de moi-même il puisse y avoir autre chose que moi même. Parce que quoi qu'on fasse, on est toujours au cœur de soit-même, non ? On ne peut pas voir par d'autres yeux que les nôtres, et sortir de sa propre tête.

 

 

Trop de mots. Un océan de mots. Je vais juste m'échouer sur le rivage, fatiguée, et faire un peu le silence.

Lâcher prise.